Charlie G. Sanders: «Sex, sex, sex on the beach, got dat word.»

La traitrise du fils


Un sourire, une caresse. Il ne se sentait à l’aise qu’en ce genre de situation. Du moins jusqu’à ce qu’il entendre l’homme dire les mots qui tuent… Il secoua la tête, et ne répondit pas. Pour lui, c’était déjà terminé. Il n’aimait jamais d’amour. Il n’aimait que le corps. Superficiel? Sans doute un peu. Pourtant, celui-ci avait créé un petit quelque chose chez Charlie. Un petit quelque chose qu’il s’amuserait, à l’avenir, à appeler Libération. Il déposa un baiser menteur sur l’épaule de l’homme de quelques années plus vieux que lui seulement, humant la douce odeur sucrée qui émanait de lui, observant la pigmentation brune, très foncée, de sa peau finement rasée. Il appuya son menton sur cette même épaule, se serrant sous les draps, laissant inévitablement ses pensées dérivées. Il n’avait même pas songé à ce qu’en dirait son père. Qu’en avait-il à faire? Lorsqu’il avait avoué, pour la première fois, son attirance envers la gens masculine, l’homme riche ne s’était pas prononcé. Mais son regard avait suffit à refroidir les ardeurs de l’adolescent de cette époque, gamin, alors, beaucoup plus sage, beaucoup plus prude.

-À quoi penses-tu? susurra la voix grave, un peu rocailleuse, de l’homme dont il commençait déjà à oublier le prénom.

-À toi, répondit-il sur un terrible mensonge dont il se fichait pourtant. Il savait qu’ils ne se reverraient pas après cette soirée dans la chaleur du corps humain. Dans le réconfort que ceci lui procurait. Dans l’attention qu’il n’avait pas. Dans l’affection qu’il ne connaissait pas. Un vrai sentiment, malgré son détachement propre, se dégageait entre les deux hommes. Seulement lui n’en garderait que le souvenir éphémère d’une nuit pour briser l’ennuie et surtout, pour défier. Car c’était bien cela, au départ : un défi. Un défi d’aimer réellement ou d’être aimer, il l’ignorait.

L’autre bougeait, se redressa dans le lit. Charlie demeura allongé, entre réflexions et incertitude, il le laissa glisser une main dans son dos sans en ressentir le besoin de l’éloigner de lui. L’homme s’éloigna finalement. Il n’aurait jamais pu deviner que son amant d’une nuit se volatiliserait le temps qu’il revienne des toilettes. Ce n’était pas que Charlie le détestait. Mais il ne voulait pas rester davantage. Il n’avait dit mot et avait filé, telle une ombre, comme le voleur.

Sexe, drogue et plaisir


Tout lui paraissait si étrange. Comme s’il n’appartenait plus au même monde. Depuis le saut. Le grand saut vers cet autre univers plus ouvert que celui dans lequel il avait toujours vécu. Les rêves de liberté, d’expression, d’aventure et surtout de plaisir devenaient un seuil qu’il franchissait volontiers régulièrement. La débauche, comme certains se plairaient ironiquement à l’appeler. Il se rendait compte d’une chose : pourquoi se limiter au mode de vie qu’on lui imposait alors que le monde s’ouvrait à lui? Sa famille s’opposerait. Il n’en doutait pas. Et lorsqu’il se présenta, un matin froid du mois de juin, droit comme un I, vêtu de ce petit polo vert faisant étrangement ressortir la couleur de ses iris lorsqu’il se regardait dans le miroir (c’était sa méthode de provocation, faire usage d’un regard aussi frappant qu’attirant.) Il se présenta devant son paternel, l’air indifférent, comme à son habitude. Sans un salut, sans inquiétude, sa intérêt, il s’enquit rapidement de savoir de quoi il s’agissait, selon quoi il n’avait pas que ça à faire attendre que sa progéniture se décide à parler.

-Dans quelques semaines, tu seras à l’université Darwin. Je t’ai pris une chambre hors campus, je refuse que de te voir en compagnie de ces délabrés.

Charlie ne put que se raidir dans l’agacement que cette nouvelle provoqua chez lui. Il n’avait que dix-huit et ses enseignants avaient tant fabulés sur ses capacités intellectuelles qu’il ne supportait plus d’en entendre parler. L’université ne l’effrayait pas, mais ce n’était pas la vie qu’il voulait. La rébellion en lui pris forme au moment où il enlaça son premier corps masculin. Et depuis, elle ne faisait que grandir en force.

-Je n’irai pas, déclara-t-il sur un ton sec et rempli de provocation.
-Peut-être préfères-tu une autre école plus prestigieuse! As-tu postulé autre part?
-Non.

Non, il n’avait postulé nulle part et n’en avait guère l’intention. Il observa, non sans un sourire amusé, les yeux ronds de son père, qui, réalisant, s’appuya sur son bureau. Son visage soigneusement rasé s’empourpra rapidement lorsqu’il réalisa les intentions de son fils de ne plus étudier. C’était une demande discrète de vivre une vie différente de ce à quoi on s’était toujours attendu.

Se fut là le début de la fin… Charlie refusa dans l’avenir à se laisser guider par le puritanisme et l’argent qu’il se mettait à flamber dans n’importe quoi, la drogue principalement. Honteux, son paternel et mère adoptive n’en parlèrent jamais ouvertement. Ils cachaient ce comportement outrageant et refusaient catégoriquement que leur fils se balade en leur compagnie, par crainte de voir leur réputation gâchée.

«I wanna dance all night.»


-Jamais.
-Je fais ce que je veux.
-Pas tant que tu seras sous ce toit.
-Je fais mes valises dans la minute.

Il quitta sur ces agréables paroles la maison familiale. Charlie doutait un jour y remettre les pieds. Mais il ne pensait pas que toute sa vie serait basculée par une simple et minuscule rumeur qui circula à son propos : nul ne pu l’ignorer, pas même lui, dans les environs. Son père eut vent des batifolages de son fils. Il eut vent de son aventure dans un lit. Encore, si ça avait été avec une femme. Il su qu’il avait couché avec un homme. C’était toujours pardonnable, par leur dieu. Un homme noir. Depuis que la race noire avait pris ses droits, son père les méprisait davantage encore. Pour lui, les blancs demeureraient les dominants. Pire encore, la rumeur, comme une trainée de poudre, disait que son fils s’était fait payer et que ce n’était pas la première fois. Charlie ne démentie jamais ces rumeurs auprès de son père, bien que fausses. Jamais il n’avait touché le moindre argent pour ses actes. Pourtant, ça n’empêcha pas l’homme paternel de renier son propre fils et de ne plus le considérer comme tel.

Vivre avec ceci? Il pourrait s’y faire… S’y faire en vivant autrement que dans une huître. Et la première chose qu’il fit fut une «battle dance» dans une fête à laquelle il s'était invité, juste pour se faire remarqué, juste pour attirer les regards et l’attention, car oui, danser était pour lui aussi intense que ses drogues : une aussi grande dépendance.