Fillan Webster

Une nouvelle saison qui commençait. Un été de plus qui s’ajoutaient à tous ceux que Fillan avait déjà passés au Merryfield Resort.
Le jeune homme appuya son dos contre le large tronc d’un arbre, comme s’il cherchait à disparaître dans l’ombre dispensée par le feuillage. Portant distraitement une cigarette à ses lèvres, il regardait le ballet des voitures qui arrivaient chacune leur tour devant l’hôtel, déversant des clients toujours plus riches les uns que les autres.
Il aurait pu faire partie d’eux, songea-t-il un instant avant de laisser échapper un rire froid. Oui, il aurait pu être parmi ces hommes et ses femmes qui se pavanaient, croyant être le monde. Il aurait pu être parmi eux. Mais heureusement, ce n’était pas le cas. C’était probablement la seule chose dont il pouvait être redevable à son père.
Il tira sur sa cigarette, regarda la fumée monter lentement à travers les branches. La dernière fois qu’il avait vu ses parents paraissait remonter à une éternité. Une autre vie. Presque dix ans en fait. Il n’était même pas majeur lorsqu’il a définitivement tourné le dos à ses parents après une énième engueulade. La chute fut brutale. Il était né une cuillère en argent dans la bouche, et ça ne s’était jamais vraiment arrangé lorsqu’il avait grandi. Se retrouver du jour au lendemain à la rue sans rien alors qu’il avait toujours été habitué à avoir tout ce qu’il désirait avait été particulièrement difficile. Sa mère l’avait aidé. Un peu. Le temps qu’il puisse trouver un boulot ou deux, de quoi se payer un appartement. Il était resté trois années à New-York, vivant à quelques kilomètres de ses parents. Mais ce n’était pas assez loin. Trop de choses ne cessait de lui rappeler ses parents. Trop de souvenirs douloureux. Alors un jour il avait pris ses quelques affaires et ses économies, avait laissé un message à sa mère et avait pris le premier vol pour l’Australie, espérant que mettre un continent et un océan entre lui et son père suffirait à l’apaiser.
Fillan avait tout recommencé à zéro. Personne ne le connaissait, il n’avait plus à supporter ces regards méprisants des gens de New-York qui l’avaient pris pour un enfant de riche qui faisait une crise d’adolescence plus violente que la normale. Il n’avait pas à s’expliquer pourquoi il ne supportait pas d’entendre parler de George et Ellen Webster parce que personne ne les connaissait en Australie. Fillan pouvait être qui il voulait. C’était grisant.
Il avait connu quelques nouveaux mois de galère, enchaînant petit boulot sur petit boulot. Jusqu’à ce qu’il trouve une annonce dans un journal. Et alors qu’il aurait pu fêter en grandes pompes sa majorité à New-York, le voilà qu’il débarquait au Merryfield Resort pour être serveur et danseur.
Une nouvelle vie a commencé cet été-là, et Fillan n’aurait pu rêver mieux. Certes ce n’était pas tout rose : qui aurait aimé servir toute la journée des gens qui vous regardaient comme si vous étiez moins qu’une bestiole qu’il fallait écrasé, ou qui vous ignoraient simplement ? Mais il y avait la danse. Jamais Fillan ne s’était jamais aussi bien qu’en dansant, d’aussi loin qu’il se souvienne, et voilà qu’il était payé pour danser.
Depuis cinq ans, il venait à chaque vacances au Merryfield Resort, et comme les adolescents qu’il servait à Melbourne, il attendait avec excitation ces périodes de l’année pour retourner à Westbrook.
Le jeune homme éteignit le mégot contre le tronc de l’arbre avant de mettre le filtre usagé dans sa poche de jean pour le jeter dans une poubelle plus tard. Il poussa un profond soupir et courbant légèrement des épaules il se dirigea vers un groupe d’employés qui revenaient de l’hôtel.